Cannes 2024, Jour 6

On vient de dépasser la moitié du Festival et une certaine routine s’installe : on reconnait les agents, on retrouve les mêmes places, on croise les mêmes collègues, à la nuance près que leurs cernes ont tendance à se creuser de jour en jour. Mais ce qu’on constate avant tout, c’est à quel point la machine tourne, pour nous offrir le sommet en terme d’expérience cinématographique. Des écrans géants, un son d’exception, des salles combles et donc réactives, des films qui commencent à l’heure sans aucune pub ni bande-annonce, et bien souvent, des applaudissements à l’équipe en larmes à l’issue du film. Que demander de plus ?

La journée commence avec le retour d’Audiard, l’un des abonnés cannois de la sélection, déjà palmé pour le surcoté Dheepan en 2015. Projet étonnant que ce Emila Perez, qui suit la transition de genre d’un chef de cartel echappant à son passé, le tout en comédie musicale. Un film osé, lyrique, fonçant avec jovialité sur tous les attendus d’un tel format, parfois à l’excès, mais avec une indéniable maestria. Les passages musicaux sont d’une grande vitalité et écrivent sans rougir un nouveau chapitre de ce genre toujours à renouveler. Dommage que l’évolution de l’intrigue s’embourbe dans une série dispensable de clichés.
Le film est clairement taillé pour la Compétition, et devrait faire son effet sur le jury présidé par Greta Gerwig : on peut à ce stade lui prévoir la récompense suprême et un destin à la Anatomie d’une chute qui comme lui avait la capacité de réconcilier une partie de la critique et du public. Quand on y pense la fin de Dheepan était aussi totalement foirée et ça ne l’a pas empêché d’avoir le destin qu’on lui connait…


Il faut aussi saluer la prestation de Karla Sofía Gascón, ainsi que celle de Zoe Saldaña qui peut enfin faire valoir son talent sans retouche numérique. Qu’on juge plutôt l’évolution :

Zoe Saldaña en Schtroumpfette
Zoe Saldaña en Grinch
Zoe Saldaña en vrai

Sortie le 28 aout (soit la même semaine qu’Anatomie d’une chute l’an dernier, doit-on y voir un signe ?)

Sortie sous tension pour un exercice de haut volée, un première pour moi qui pourrait faire jurisprudence : tenter un battement de 20 minutes entre deux projections, d’un bâtiment à l’autre. Attention, performance réalisée par un professionnel, à ne pas tenter chez vous.
Je vais, je cours, je vole, je peste derrière une jeune femme qui se filme en train de descendre un escalier dans le palais (j’espère que c’était du direct, ses followers auront eu droit à un troll fulminant qui gâchait en arrière plan son joli sourire), j’écarte la foule tel un chasse-neige à Montréal un matin de janvier, remet à plus tard les possibles envois postaux de procès verbaux pour excès de vitesse, et j’y arrive.
En Un Certain Regard, Laetitia Dosch présente Le Procès du Chien, qu’on s’amuse à considérer comme une suite officieuse à Anatomie d’une chute, puisqu’on y trouve donc un procès, un chien, un aveugle et un enfant. Fable absurde déviant malicieusement vers des dissertations éthiques et un plaisant brûlot féministe, le film s’en sort très bien et a suscité l’approbation du public. Ceci étant dit, c’est pas mal d’attendre la fin du film et les acclamations pour le faire savoir. Durant la séance, une spectatrice derrière moi n’a cessé d’interagir avec les personnages, poussant cris d’effroi, onomatopées d’indignations ou petits bruits de désapprobation, à la manière de ces mamies qui commentent les conversations et te proposent une sorte de bande originale continue. À croire que des membres de sa famille (voire son propre chien) figuraient à l’écran, et qu’elle n’avait pas vraiment compris le principe de la fiction. On dira que ça prouve la capacité d’immersion du film…
Sortie le 11 septembre.

Quand le tribunal se retrouve aux abois

J’ai presque deux heures de pause avant le film suivant, l’occasion de voir un morceau de ciel bleu, du soleil et des flics partout, puis retour à l’obscurité avec le très attendu Limonov, la ballade de Kirill Serebrennikov, (en compétition) cinéaste lui aussi habitué de Cannes et qui n’a jamais laissé indifférent. Biographie diffractée d’un auteur/révolutionnaire complexe et contradictoire, portrait d’une URSS en voie de décomposition, le film, comme toujours virtuose en termes de mise en scène, entre en osmose avec son personnage (réel) pour un résultat baroque, contradictoire, saturé de colère, de sexe, de convictions et de désillusions. Du grand et puissant cinéma, que j’espère voir figurer au palmarès.

Fumer fait pousser (les cheveux)

J’enchaine avec Black Dog du chinois Guǎn Hǔ présenté en Un Certain Regard. Si j’étais méchant (et on arrive à un stade du Festival où on a tendance à l’être de plus en plus), je dirais que ce film est celui que Jiǎ Zhāng-Kē pourrait réaliser s’il ne se prenait pas pour un génie du cinéma d’auteur. Les thématiques sont les mêmes, à savoir une Chine en voix de destruction pour se reconstruire (ici à l’approche des J.O. de Pekin), un personnage mutique et le portrait d’un pays qui ne comprend pas trop comment il avance. L’histoire est certes assez convenue, sur le retour de prison d’un homme qui va s’attacher à un chien errant, mais les images sont superbes et la mise en scène d’une grande finesse. Petit coup de cœur.

Je termine la journée par la section Cannes Premiere ou Leos Carax propose son nouveau film, un essai expérimental de 40 minutes intitulé C’est pas moi, et qui semble reprendre le flambeau des poèmes visuels qu’offrait Godard sur la fin de sa carrière. Textes, extraits de ses films et de ceux des autres, voix off sépulcrale, réflexion sur l’actualité, la montée des extrêmes, l’ensemble pourrait paraitre rebutant, c’est pourtant une pure merveille. Parce que la dérision et l’humour sont toujours en embuscade, le propos d’une sincérité viscérale, l’ode au cinéma d’un enthousiasme sans borne et la poésie bienfaisante. En espérant que le cinéaste se mette rapidement au travail pour nouveau long métrage. Sortie le 12 juin.

Au programme aujourd’hui : du western épique, du gros gore qui tâche et une leçon de miséricorde.

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