Cannes 2024, Jour 7

Pour débuter la journée, je me confronte au gigantesque projet Horizon – Une saga américaine : Chapitre 1 de Kevin Costner (Hors Compétition). Soit une saga de 4 épisodes de 3 heures pour couvrir 15 ans de la conquête de l’Ouest. En somme, une série qu’il veut destiner au grand écran. Ce premier volet place donc les lieux et de multiples personnages dans une exposition laborieuse qui, en dépit d’une séquence d’attaque d’indiens assez maitrisée, ne tiendra pas sur la longueur. Après la blague de Quentin Dupieux dans Le Deuxième Acte sur l’idée d’un film écrit par une intelligence artificielle, on a le sentiment d’en voir un exemple concret. La commande faite à l’IA est élémentaire : écrire une saga de 12h combinant tous les personnages, les lieux et les accessoires du Western, en prenant soin d’inclure des méchants et des gentils chez les blancs comme les indiens, et de créer des personnages féminins forts. Tout est lisse, les dialogues sont didactiques et les caractérisations convenues. Ce sera sans moi pour les 9 heures restantes.
Sortie le 3 juillet pour le Chapitre 1 et le 11 septembre pour le Chapitre 2.

Le saviez-vous ? ‘IA a généré la même image dans une pub pour le café

La Compétition programme régulière des films à 22h ou 22h30, séance que j’exclus de mon planning pour santé mentale, m’astreignant à au moins 6 heures de sommeil par nuit. Je rattrape donc ces séances le lendemain, souvent après le buzz de la première. C’est le cas avec The Substance de Coralie Fargeat, (en Compétition) très attendu après son premier Revenge en 2018. La consultation des réseaux sociaux à l’aube montre des retours extatiques et le salue comme un coup de point historique. Le film est en effet une série B totalement décomplexée avec geysers d’hémoglobine, mutilations et body horror en constante gradation, pour un conte qui revisite Le Portrait de Dorian Grey et convoque les maîtres Carpenter, Cronenberg ou encore De Palma. C’est parfaitement stupide, mais souvent très drôle. Une nouvelle occasion de traumatiser les spectateurs invités par leur Comité d’Entreprise et n’ayant aucune idée de ce qu’ils vont subir. Les pompiers interviennent pendant la projection, gâchant une partie de la première séquence maitresse (soit un accouchement par la colonne vertébrale, assez graphique et réussi, il faut bien le reconnaître) pour évacuer une personne en plein malaise. A la fin du film, j’entends une femme remercier son voisin d’avoir ri à gorge déployée, ce qui lui a permis de tenir et de garder du recul face à cet étalage de viscères qui pourrait rendre vegan un habitant du Texas.

La césarienne ne s’est pas exactement passée comme prévu, madame, mais nous contrôlons la situation

J’enchaîne avec la séance de presse de The Apprentice d’Ali Abassi (en Compétition) après Les Nuits de Mashhad présenté en Compétition en 2022. Le cinéaste d’origine iranienne s’intéresse à l’histoire américaine et aux années de formation de Donald Trump. En avance dans la salle, je commence à écrire mais doit me farcir les élucubration en anglais d’un vieux journaliste suédois qui explique à une jeune collègue de Variety le bon goût et la décadence de notre époque. C’est un profil type qu’on croise toujours à un moment ou à un autre : l’aigri qui dit que la sélection est d’une qualité désastreuse, que c’est son dernier voyage à Cannes, qui a visiblement un problème avec les films réalisés par des femmes et qui, chaque fois qu’on lui demande pourquoi il n’a pas aimé un film, explique qu’il était si mauvais qu’il s’est barré au bout de 20 minutes. Ses journées ne doivent pas êtres harassantes. Je mets mes écouteurs à réduction de bruit au moment où il explique qu’il faudrait mettre Jacques Audiard en prison (il a visiblement un problème avec les transgenres aussi) et diffuser trois fois de suite le film de Carax pour en faire un long métrage et lui attribuer la Palme. Je suis sûr qu’il sera de nouveau là l’an prochain pour pouvoir à nouveau cracher dans la soupe.
The Apprentice, donc, est un biopic de facture assez classique, qui chercher à sonder les racines du mal par la formation de Trump grâce à un mentor redoutable. Abassi lorgne du côté de Scorsese pour raconter l’ascension d’un salopard, mais reste très sage en termes de mise en scène. L’incarnation de Sebastian Stan est à saluer, mais le film reste assez anecdotique, et peu calibré pour la Compétition.

Dis-leur que la Sélection est à chier cette année et qu’on est là pour la rendre Great Again

Je termine la soirée avec Miséricorde d’Alain Guiraudie, dans la sélection Canne Premiere, soit la présence des habitués que Frémeaux n’a pas jugé dignes de la Sélection. J’imagine que ça peut vexer certains cinéastes, mais la vitrine d’une avant-première à Cannes reste toujours une offre qu’on ne peut pas refuser, comme dirait l’autre. Guiraudie nous a habitué à des films étonnants et souvent hédonistes, d’une puissante ruralité et en osmose avec la nature : c’est un menu que l’on retrouve dans Miséricorde, qui commence comme un thriller pour progressivement dériver vers une singulière comédie où le désir circule entre tous les protagonistes pour revivifier un contexte mortifère. Formidable réception de la salle Debussy, amusée et captivée par ce conte amoral tout à fait excitant.

Au programme aujourd’hui : des jeunes dans la pampa, des morts connectés et des jeunes filles face aux caméras.

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