Cannes 2024, jour 8

Que la billetterie soit bénie : nous réservons 4 jours à l’avance, et en périphérie des films en Compétition (on a une déontologie de la presse, messieurs dames, même si on doit se farcir par instant des choses assez dispensables), il y a toujours un certain pari dans ce qu’on décide de voir, d’autant que les sélections parallèles (Un Certain Regard, la Semaine de la Critique, et même la Quinzaine) font la part belle aux premiers et deuxièmes films. Les jours passant, au fil des conversations avec les collègues journalistes et les voisins de file d’attente, certaines belles découvertes émergent. Mais jusqu’à l’année dernière, il était trop tard pour trouver des billets, les séances étant complètes et verrouillées depuis trop longtemps. Je ne sais pas ce qui a changé cette année, mais l’entité jusqu’alors maléfique fait preuve d’une certaine souplesse, et on peut un peu jongler, en changeant son planning la veille, voire le jour même. C’était jusqu’alors l’apanage des hauts classés de l’accréditation (les roses, la petite bourgeoisie qui elle-même se doit d’emphatiques génuflexions quand passent, voire lévitent les roses pastillés), mais cette année, le bleu que je suis parvient à me ménager quelques improvisations.
Trop longue introduction pour expliquer la raison pour laquelle j’ai commencé la journée par un film que je n’avais a priori pas retenu, La Pampa d’Antoine Chevrollier, réalisateur chevronné dans le milieu de la série (Le Bureau des légendes, Baron Noir, Oussekine) qui passe ici le cap du premier long métrage. Le récit initiatique d’un lycéen qui tente de se faire une place entre son amitié fusionnelle, une possible histoire d’amour et une famille en pleine recomposition. Tout est juste, merveilleusement joué, filmé à parfaite distance, écrit avec une finesse impressionnante… Un grand bravo, à surveiller lorsqu’il sera programmé dans les salles.

Retour à la Compétition avec Les linceuls de David Cronenberg, lui aussi grand habitué de la Croisette. Amusant de voir qu’au lendemain de The Substance, qui convoque le body horror de ses débuts de carrière, Cronenberg ne joue définitivement plus dans la même catégorie. Ses obsessions pour la technologie et les métamorphoses physiques sont certes toujours exploitées, mais avec une sagesse et une gravité plus marquée, dans cette intrigue où un entrepreneur met au point un système permettant de suivre au quotidien la décomposition des êtres aimés dans leur linceul. L’idée, toujours soumise à ce regard clinique et des variations de noir, est à mettre en lien avec la perte de son épouse en 2017, et la façon dont l’imaginaire de la science-fiction pourrait donner corps à ses questionnements philosophiques. Difficile, pour le moment, de se faire une idée claire de ce film ambigu, extrêmement verbeux et dans lequel le cinéaste multiple les enjeux paranoïaques et les impasses conspirationnistes. Un temps de décantation sera nécessaire, à l’image de ce processus au long cours qu’est le deuil du protagoniste, mais le film a de fortes chances de faire son chemin.
Sortie le 25 septembre.

La billetterie du Festival à 7h00 et 8 secondes, chaque matin

Je sors du Grand Théâtre Lumière pour y retourner immédiatement, avec cette idée persistante en tête de nous autoriser à ne pas quitter notre siège entre deux séquences si on a le billet pour la suivante, douce utopie. Il faudra sortir du Palais et repasser tous les contrôles de sécurité, qui ont tout de la loterie en termes de procédure : la plupart se contentent de vaguement regarder dans l’amas improbable que compose ma poche principale, d’autres tâtent vaguement, tandis que les plus zélés vont jusqu’à me faire ouvrir mes boitiers de lunettes. Cette dernière est par ailleurs la seule à avoir vu une de mes poches secrètes, je devrais demander à sa hiérarchie de lui obtenir une augmentation. Le nouveau film de la Compétition est Anora de Sean Baker, cinéaste indépendant américain lui aussi habitué de Cannes, puisqu’il y a présenté ses trois derniers films, dont le dernier, Red Rocket en Compétition en 2021. Anora est une belle surprise, et propose ce type de projection bienfaisante qui met le feu au public, acquis à la cause du réalisateur au vu de son accueil avant le début du film – encore un exemple de cette été d’esprit américain qui peut vraiment booster l’alchimie d’une séance. Sur 2h20 gorgées de rythme, le film suit les aventures d’une danseuse de lapdance qui se marie avec le fils d’un oligarque russe et voit débarquer les hommes de main missionnés pour annuler le délire de la progéniture. Des acteurs à l’énergie folle, des trognes patibulaires et une vigueur folle pour une odyssée destroy menée tambour battant. On n’est certes pas face à un grand film de cinéma, mais la sélection a besoin de ce genre de pauses, et Sean Baker gagne en maitrise dans son registre, en nous gratifiant de quelques séquences assez cultes, où le mobilier d’une maison de luxe et les gros bras prennent très cher face à une sauvageonne dont l’héroïsme iconoclaste fait beaucoup de bien. Reste une certaine ambigüité dans le traitement des caractères, qui rodait déjà dans Red Rocket, om l’on peut s’interroger sur le cynisme, voire la complaisance du réalisateur par rapport aux comportements qu’il dépeint.

Profitons de l’ambiance avant de passer au cassage de nez

Je finis la journée avec une sélection de Cannes Première, Maria de Jessica Palud, doté d’un casting tout à fait réjouissant : la comédienne montante Anamaria Vartolomei (fantastique dans L’Événement d’Audrey Diwan, et très prochainement dans Le Comte de Monte-Cristo), Yvan Attal et Matt Dillon. Le film adapte le livre publié par la cousine de Maria Schneider, et qui retrace le parcours de cette jeune actrice propulsée dans le scandale par le tournage du Dernier Tango à Paris de Bertolucci, sur lequel elle subit des méthodes de travail qui la détruiront psychologiquement. Une page noire de l’histoire du cinéma, documentée de façon assez linéaire et parfois un peu didactique, mais révélatrice pour qui ne connaitrait pas ces coulisses très glauques de la fabrication d’un film qu’on voulait « sulfureux ».
Sortie le 19 juin.

Au programme aujourd’hui : un délire népo, une virée napolitaine, un grand tour asiatique et des retrouvailles dans le Jura.

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